Les dessous des Start-up
Les start-up, ces jeunes entreprises dont le secteur d’activité est l’informatique, sont le nouvel emblème de la prétendue » nouvelle » économie. A grand renfort de publicités arrogantes, elles prétendent incarner le nec plus ultra des nouveaux services informatiques. Pour ses futurs employés, elle représente aussi un nouveau type d’aventure proposée par le capital.
Ce qui étonne au premier abord, c’est que la start-up n’est pas une entreprise qui cherche à profiter d’un marché chez des clients potentiels. Elle n’est en fait dans la plupart des cas qu’une opération de spéculation déguisée en entreprise commerciale, et ses seuls vrais clients sont ses investisseurs (appelés en anglais capital-riskers) ou d’éventuels acheteurs tels les grands groupes de » communication « . Elle n’a donc pas besoin d’une recherche commerciale qui tienne debout, mais plutôt d’un concept tape-à-l’œil.
La stratégie (financière, plus que commerciale) d’une start-up se résume donc à son entrée en bourse, même si, pour les 9/10 des ces entreprises, c’est, plutôt que la bourse, le dépôt de bilan qui les attend. C’est cette visée de hauts profits financiers à court terme qui instaure la prédominance des fonctions du marketing et de la finance dans les décisions importantes de l’entreprise : un nouveau » tour de table » des investisseurs ou une nouvelle exigence du marketing peuvent remettre en cause les orientations et l’organisation du travail.
Dans une start-up, on peut distinguer cinq départements fonctionnels : marketing, management (la direction), commercial, développement/intégration, administratif.
Les commerciaux et les gens du marketing, comme ailleurs, ne comprennent souvent rien aux impératifs techniques. Ils nagent dans leur univers de vente et de produits (qu’ils connaissent d’ailleurs mal). Leurs ordinateurs portables leur permet de prolonger leur travail à la maison. Les dirigeants, actionnaires de l’entreprise, ont souvent des ambitions proprement mégalomanes. Ils rêvent de l’introduction en bourse et des juteuses plus-values qu’ils recevront, voire de rivaliser avec Bill Gates. Ils ont toujours l’air le plus affairé, mais chacun sait qu’ils s’accordent le temps libre qu’ils désirent. Tous ces cadres savent bien profiter des investissements reçus, quand bien même l’aventure de serait pas couronnée par une introduction en bourse. L’attribution de stock-options et de golden-parachutes (ces primes que les dirigeants recevront en cas de renvoi ou de dépôt de bilan) accentue encore ces avantages.
Les administratifs sont les oubliés de ce boom économique. Les secrétaires, les comptables et les techniciens sont considérés, dans ces entreprises où l’on paye en général bien, comme des moins que rien. Il n’est pas rare de constater des rapports de 1 à 3 entre le salaire d’un ingénieur et le salaire de la comptable qui lui fait son virement. Sans compter qu’en la matière, les pire a priori sont de rigueur : une secrétaire, une hôtesse, ou une comptable, ne peut se décliner qu’au féminin, bien sûr !
Restent les développeurs, les intégrateurs, et les administrateurs, qui représentent la majorité des employés, ceux qui produisent effectivement quelque chose. Ce sont bien souvent des » passionnés » d’informatique, qui ne rechignent pas à la tâche. Leurs salaires peuvent varier sur une échelle allant de 1 à 2 pour la même fonction (cette particularité étant bien caractéristique de l’individualisme poussé dans la profession informatique).
Les dirigeants des start-up adoptent souvent un management plus libéré des conventions traditionnelles du milieu du travail, à la fois par technique de management (apprise lors de formations) mais aussi parce que les conditions de travail les y contraignent : ils ont peu d’espace et peu de temps.
L’exiguïté des locaux impose souvent une promiscuité avec l’équipe dirigeante, qui est de plus renforcée par l’utilisation quotidienne du courrier électronique. Il est attendu de la part des employés, quelle que soit leur fonction, un engagement total avec l’optique de la direction (appelé pompeusement » culture d’entreprise « ). Cette adhésion de l’employé est un des atouts fondamentaux de la gestion du personnel, et dans cette perspective, le tutoiement est de rigueur.
Les délais trop courts obligent souvent la direction, pour alléger son travail, à déléguer certaines de ses responsabilités qui n’engagent pas la conduite de l’entreprise, ce qui, dans leur jargon, serait un regain d’ » autonomie » . Tous ces aspects renforcent le discours (de la direction !) sur la prétendue absence de hiérarchie.
On ne peut pas dire que les dirigeants des start-up s’embarrassent avec les droits des salariés. Vous ne trouverez pas de section syndicale, ni même de délégué du personnel. Parfois, l’affichage pourtant obligatoire des horaires et des coordonnées de l’inspection du travail n’est pas respecté. Le contrat de travail – s’il existe – impose un grand nombre de contraintes (des clauses de non-concurrence, de non-sollicitation, de mobilité, un statut de cadre qui permet de ne pas payer les heures supplémentaires…) pouvant aller jusqu’à des sanctions financières. Certains salaires sont même indexés sur la réussite de l’entreprise.
Disponibilité, flexibilité, et même docilité sont exigées par la direction. Ne travailler que les heures pour lesquelles on est payé, refuser de venir le week-end ou de terminer tard le soir n’est pas bien vu par la direction.
Si nous pouvons à juste titre parler de flexibilité et, dans une certaine mesure et pas pour tous, d’exploitation, peut-on pour autant plaindre le sort de tous ces employés attirés par des profits grandioses qui pour la plupart s’y soumettent semble-t-il avec bonne volonté ? Certains, parmi les programmeurs plus spécialement, restent tard le soir de leur plein gré. Quant aux licenciements qui se cachent souvent derrière les démissions, il est effrayant de voir que, outre l’attitude parfaitement méprisante de la direction, peu de collègues s’y opposent. Pourtant, certains employés en viennent à mettre en doute l’utilité d’avoir de bons salaires sans temps libre pour en profiter, des questions syndicales affleurent dans les conversations.
Cet état de chose n’est sans doute pas seulement dû à une méconnaissance du droit du travail. En fait, on ne peut pas exclure que ces conditions soient la conséquence d’une réelle adhésion de la majorité des employés au mirage de la » nouvelle » économie. L’abondance de travail dans le secteur informatique aurait dû permettre aux salariés d’imposer leurs revendications. Hormis les salaires (qui sont complètement réglés par le marché et non par les exigences des salariés) ce n’est pas ce que l’on observe, et dans les start-up encore moins qu’ailleurs. Le suremploi pousse en fait beaucoup d’informaticiens à conclure un conflit avec la direction par une démission.
Les start-ups sont-elles le prototype de l’entreprise du futur ? Sont-elles une déformation » infantile » des débuts de la nouvelle économie ? Dans beaucoup d’entreprises du secteur informatique on retrouve, de manière atténuée, les caractéristiques des start-up, qu’il s’agisse de la flexibilité consentie ou de » l’intéressement » à l’entreprise. Sans doute ces entreprises sauront-elles en éviter les excès. Les revues informatiques annoncent déjà depuis plusieurs mois un revirement dans l’organisation des start-up : après tous ces échecs, plus question de confier des millions à des jeunes sans expérience. Les » seniors » (comme ces revues les nomment) sont de retour et reprennent la direction des postes clés de l’entreprise : marketing, finance, direction.
Si nous travaillons au quotidien pour en finir avec le mythe des start-up, pour conquérir des droits que nos aînés ont gagnés dans d’autres secteurs, nous remettons aussi en cause, concrètement quand c’est possible, le sens de notre travail, les rêves consuméristes auxquels on nous contraint de croire, d’adhérer et de travailler. Et la start-up est le symbole de cette société de l’acheté, du consommé, du jeté… Dans une société de plus en plus informatisée, ou l’information passe par les réseaux, nous tous qui rêvons à un autre futur et sommes prêts à nous battre pour cette autre société, nous seront de plus en plus présents dans le monde de l’informatique, start-up ou pas. Pour nous défendre face aux assauts des financiers sur nos lieux de travail, mais aussi pour occuper cette place stratégique du fonctionnement de notre société.
Syndicat de l’Industrie Informatique de la Région Parisienne (SII-RP)